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Les sacrifices

Voilà un sujet qui est central lorsqu'on aborde la relation entre la Torah et les animaux. 

Comment comprendre que la Torah demande de sacrifier des animaux ? Quelle était la signification de ces rites qui étaient pratiqués à l'époque du temple ?


Beaucoup diront que pour de nombreuses lois, nous n'avons pas la signification, que cela fait partie des secrets de Dieu, que nous ne devons pas essayer de comprendre et que ce sont des sujets trop profonds. Le Rambam n'est pas d'accord avec cette vision des choses. En effet, il cite à ce propos le verset : 

Deutéronome 4:6 Observez-les et pratiquez-les! Ce sera là votre sagesse et votre intelligence aux yeux des peuples, car lorsqu'ils auront connaissance de toutes ces lois, ils diront: "Elle ne peut être que sage et intelligente, cette grande nation!"

En effet, il faut comprendre que pour beaucoup de lois, les explications deviennent très claires en prenant en compte le contexte de l'époque, et peuvent nous paraître abstraites et énigmatiques au 21e siècle. C'est en étudiant et comprenant les coutumes et croyances des peuples environnants, que certaines pratiques cérémonielles du judaïsme prennent tout leur sens. La loi avait principalement pour but de faire cesser l'idolâtrie et d'en effacer la trace, jusqu'à son souvenir même, de même tout ce qui peut conduire à l'une de ses pratiques (telles que l'évocation, la magie, la divination etc). Ainsi, la Torah a interdit la pratique de toute sorte de magie, la divination, la fabrication d'idoles, de tirer profit d'un objet consacré à l'idolâtrie, de se tatouer, de se raser à la lame, de mélanger le lin et la laine, etc. 

Et la raison pour laquelle Dieu a instauré les sacrifices, était qu'il voulait en réalité supprimer cette pratique. Mais cette déclaration nécessite davantage d'explications qui sont données par le Rambam dans le Guide des égarées (III, 32) et que je présente ici. Les sacrifices étaient une pratique courante, familière au monde entier et les Hébreux avaient également été élevés dans ce culte universel, d'offrir des animaux dans des temples et de brûler de l'encens. Dieu n'aurait pas pu supprimer directement cette pratique. Pour comparaison, c'est comme si aujourd'hui un prophète venait dire "Dieu vous défend de lui adresser des prières, de jeûner et d'invoquer son secours dans le malheur, mais votre culte sera une simple méditation, sans aucune pratique". 

C'est pour cela que Dieu n'a pas supprimé les sacrifices, mais les a redirigés vers lui, en les transférant à son nom. Et toutes les lois qui ont été données n'avaient que pour but d'éloigner les hébreux de cette pratique. Ainsi, les lois entourant les sacrifices étaient très complexes et contraignantes. Par ailleurs, il était interdit de réaliser un sacrifice en dehors du temple, comme il est dit : "Garde toi d'offrir des holocaustes en tout lieu où il te plaira, mais uniquement au lieu que l'Eternel aura choisi" (Deutéronome 12: 13-14). De plus, seuls les prêtres étaient habilités à réaliser ces sacrifices. Ainsi, ces lois permettaient à l'homme de s'éloigner de cette pratique. Cette prévoyance de la Torah eut pour résultat d'effacer le souvenir de ce culte idolâtre de manière progressive. 

D'ailleurs, les prophètes ont justement reproché aux hommes leur empressement à offrir des sacrifices, leur expliquant que Dieu n'en a pas besoin. Par exemple : 

Samuel I 15:22 : "L'Eternel veut-il les holocaustes et les sacrifices comme il veut qu'on lui obéisse ?"

Isaïe 1:11 : "A quoi me sert la multitude de vos sacrifices ?"

Jérémie 7:22-23 : "Car je n'ai point parlé à vos ancêtres, et je ne leur ai pas donné de commandement au sujet des holocaustes et des sacrifices, au jour où je les fis sortir du pays d'Egypte."

Et en effet, dans les premières lois prescrites, lors du don de la Torah et des dix commandements il n'était nullement fait mention des sacrifices. C'est pour cela que le verset précise "au jour où je les fis sortir du pays d'Egypte". 

Certains se demanderont pourquoi Dieu n'a pas directement supprimé ce penchant pour la réalisation de sacrifices. Mais cela reviendrait à demander pourquoi Dieu n'a pas supprimé la volonté de voler ou de tuer. Toute la législation deviendrait inutile. Comme mentionné dans cet article que je recommande, les lois de la Torah ont été données pour guider la morale humaine. Voici ce qu'écrit le Rav Kook à ce sujet dans son ouvrage "Une vision du végétarisme et de la paix" :  

"Aussi longtemps que le cœur humain n'est pas naturellement attaché à un comportement bon et juste, aussi longtemps que la véritable connaissance divine d'accomplir des actes de bonté, de justice et de droiture sur terre n'est pas universellement inscrite dans le coeur humain, tant que l'humanité a besoin d'enseignants externes en matière de devoir moral et de la droiture humaine, il faudra également de nombreuses limitations et précautions pour que son comportement ne soit pas perturbé, jusqu'à ce qu'il soit apte à recevoir l'orientation désirée. "


Le sacrifice d'Itshak

Si Dieu ne souhaite pas réellement les sacrifices, comment expliquer le passage du sacrifice d'Itshak ?

Tout d'abord, au niveau du sens simple, Dieu n'a jamais demandé explicitement à Abraham de sacrifier Itshak. En effet, Rachi sur le verset de Genèse 22:2 explique : Il ne lui a pas dit "et immole-le", car Dieu ne voulait pas qu'il l'égorge, mais seulement qu'il le fasse monter sur la montagne pour en faire une offrande. Et après qu'il l'aurait fait monter, il lui dirait "Fais-le descendre". 


Au sujet du verset dans Jérémie 19:5 : "en bâtissant les hauts-lieux de Baal, pour brûler leurs enfants comme holocaustes à Baal, ce que je n'ai ni prescrit ni recommandé et ce qui ne m'est jamais venu à la pensée".  Le Talmud (Taanit 4a) explique que la fin du verset faisait référence au sacrifice d'Itshak, et confirme également que Dieu n'avait pas l'intention de demander à Abraham de sacrifier son fils.

Différentes lois de la Torah ont eu pour but d'éloigner le peuple juif de cette pratique qu'est le sacrifice humain. Par exemple, il était interdit d'apprendre les coutumes idolâtres. En effet, il y avait une crainte que les Hébreux croient qu'il faut servir Dieu comme le faisaient les idolâtres, et d'être jaloux de leurs pratiques en pensant que c'est un acte noble : 

Deutéronome 12:30 : ne va pas t'enquérir de leurs divinités et dire: "Comment ces peuples servaient-ils leurs dieux? Je veux faire comme eux, moi aussi."

Ce n'est peut-être pas évident d'imaginer cela, mais l'archéologie révèle que les sacrifices humains étaient pratiqués par la plupart des civilisations, que ce soit pour conjurer une sécheresse, pour accompagner un souverain dans l'au-delà ou pour faire une simple offrande. Et cela est encore pratiqué de nos jours à moindre échelle dans des endroits reculés des différents continents. La Torah s'est donc levée contre cette pratique épouvantable. Comme il est dit : 

Deutéronome 12:31 : Non, n'agis point de la sorte envers l'Éternel, ton Dieu! Car tout ce qu'abhorre l'Éternel, tout ce qu'il réprouve, ils l'ont fait pour leurs dieux; car même leurs fils et leurs filles, ils les livrent au bûcher pour leurs dieux!

Nous voyons bien que le sacrifice humain est considéré comme quelque chose de très grave par la Torah, et que la Torah ne voulait pas que les hébreux pensent qu'il s'agissait d'un acte honorable en cherchant à imiter les autres peuples et jalouser leur culte. Et pour cela, une simple injonction de la Torah n'aurait pas suffi à empêcher de tels actes de se produire et tel est l'objectif du passage du sacrifice d'Itshak. Abraham comprend qu'il doit prendre son fils unique, qu'il a attendu pendant tant d'années, et le rendre à Dieu. L'émotion et le traumatisme de cet épisode ont eu un impact considérable sur sa descendance. Dieu fait comprendre à travers cet épisode qu'Abraham est le gardien de son enfant, non son propriétaire, et qu'en aucun cas un parent ne doit sacrifier son enfant, pas même pour Dieu, et pas même par un homme aussi grand qu'Abraham.  

Le troisième temple 

A la lumière de ces différents avis, qu'adviendra t-il des sacrifices lors du rétablissement du troisième temple ? Le rabbin Kook soulève cette question du statut des sacrifices et pense qu'une fois le Temple restauré, les sacrifices d'animaux seraient abolis et que seules seraient conservées les offrandes végétales en se fondant sur la prophétie de Malachie (3-4) et celle d'Isaïe (11,6-7) qui annonce une ère de paix associée à l'immersion dans la connaissance divine et signalée par une modification des relations entre les êtres vivants. 

Dans son ouvrage, Une vision du végétarisme et de la paix (1903-1904), le rabbin Kook écrit à ce sujet "qu'il est impossible d'imaginer que le Maître de tout ce qui arrive, qui a pitié de toutes ses créatures, puisse établir dans sa création, qu'il a jugé "extrêmement bonne" un décret éternel comme celui-ci : que le genre humain se maintiendrait en allant à l'encontre de ses propres instincts moraux en versant le sang, même le sang des animaux "

Je terminerai à ce propos avec un texte du rav Kook de ce même ouvrage en lien avec les différents articles du blog : 

"Il y a une branche essentielle du progrès humain qui existe à notre époque,  seulement comme le rêve séduisant de certains idéalistes radicaux : à savoir, l'aspiration morale naturelle, due au sens humain de la droiture, à accorder une attention particulière aux droits des animaux, au sens le plus large du terme.

De cruelles philosophies, en particulier les plus hérétiques, qui ont rompu de la manière la plus totale avec les obligations de la Torah, ont, chacune à leur manière, facilité la tâche à l'être humain, quand il s'agissait d'étouffer complètement son sens intérieur de la justice envers les animaux, conformément à leur propre conception de la moralité humaine d'un point de vue philosophique en général. Elles n'ont pas réussi, et ne réussiront pas, malgré toute leur habileté, à changer la nature de la justice naturelle que le Créateur a implantée en chaque individu. Et même si, en ce qui concerne les animaux, ce sens de la justice est très semblable à la lueur de braises sombres et fumantes gisant sous un gros tas de cendres, il est impossible de nier ce que l'on ressent, lorsqu'on a du cœur: le fait que la nature humaine se voit révélée incapable de répondre à un noble et beau sentiment - s'abstenir d'ôter la vie d'êtres vivants pour satisfaire les besoins et plaisirs humains - est une lacune morale universelle."
























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