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Aux origines du monde

 





Pour certains commentateurs, le récit du jardin d'Eden est à prendre au sens allégorique. Mais que ce récit soit historique ou non, les messages qui peuvent en être tirés sont identiques. Le récit pose les bases de l’existence d’un créateur, un système de lois révélé à l’homme, et les conséquences de son infraction.

Mais ce qui est intéressant, c’est que tout ce récit met l’accent sur la chute de l’homme, comme s’il était chassé de ce monde idéal qui était le but de la création. Et c’est ici que l’on veut s’intéresser aux détails de ce monde idéal. L’homme n’a qu’une seule femme et n’est pas polygame, il vit en harmonie avec la nature, la paix règne entre l’homme et l’animal, et la seule nourriture autorisée aux êtres humain et aux animaux est la nourriture végétale :

Genèse 1.29 Et Dieu dit: Voici, je vous donne toute herbe portant de la semence et qui est à la surface de toute la terre, et tout arbre ayant en lui du fruit d’arbre et portant de la semence: ce sera votre nourriture.

Et en réalité, ce n’est qu’après le déluge que fut autorisée la nourriture animale. Quelle en est la raison ? Pourquoi ce changement de politique ? Est-ce la loi qui change ou plutôt son destinataire ? Rabbi Yossef Albo, un rabbin du 15e siècle a proposé une approche très intéressante sur ce sujet et que je vais essayer de présenter ici (Sefer Haikkarim, 3, 15)

L’objectif du Sefer Haikkarim était de défendre le judaïsme face au christianisme et au criticisme philosophique. Au chapitre 3, Rabbi Yossef Albo tient à démontrer que la loi de Dieu n’est pas immuable, et prend justement pour exemple que la nourriture animale était interdite avant le déluge, puis fut autorisée après le déluge.

Pour comprendre cela, il faut se plonger dans une lecture plus profonde du récit concernant Cain et Abel. Nous devons nous demander quel était le pécher de Cain lorsqu’il a apporté des fruits de la terre en offrande. Beaucoup pensent qu’il aurait dû amener en offrande des animaux, comme la fait son frère Abel. Mais cela n’est surement pas une faute. Les hommes offraient ce qui leur a été donné par Dieu pour exprimer leur gratitude. Si Cain labourait les champs, il était parfaitement logique qu’il offre des produits de la terre. L’action de remerciement doit correspondre au bienfait reçu.

Une autre question qui est soulevé, et qu’on s’est sans doute tous posé, est : pourquoi Dieu n’a pas protégé Abel lorsque Cain l’a tué ? De plus, pourquoi ce n’est qu’à propos de Seth que le texte dit qu’il a été crée à l’image de Dieu, et que cela n’a pas été dit pour Abel ?

Pour répondre à toutes ces interrogations, le rav Albo explique alors que dans le meurtre d’animaux, il y a de la rage, de la cruauté et la mauvaise habitude de verser du sang. De plus, il démontre à partir de versets de la bible que la consommation d’animaux a une mauvaise influence sur le caractère de la personne et que Dieu a voulu priver l’homme de ce bien par rapport au mal qui pourrait en résulter. C’est la raison pour laquelle Adam était restreint à une nourriture végétale.

Dès lors, lorsque Cain et Abel sont nées, chacun avait sa propre conception du rapport entre l’homme et l’animal. Cain labourait les champs car il pensait que la supériorité de l’homme par rapport à l’animal était cette faculté de pouvoir labourer les champs et se nourrir des plantes de son choix. Voyant son père avoir la même alimentation que les animaux, il considérait les hommes et les animaux égaux, qui quitteront ce monde de la même manière. Tel était son véritable pêcher, de penser que l’homme n’est pas différent de l’animal alors qu’au contraire, l’homme n’est pas venu au monde pour manger et boire comme les animaux, l’homme est capable d’être généreux envers les autres, de pardonner, d’apprendre les sciences, soigner des êtres vivant blessés, être le garant de l’avenir de la planète, découvrir la complexité du monde, choisir de vivre moralement etc. Ainsi était l’idéologie erronée de Cain. Abel de son côté pensait que la supériorité de l’homme sur l’animal résidait dans le fait qu’il pouvait les exploiter pour les utiliser dans les champs. Tout comme Cain, il s’interdisait de tuer les animaux, sauf dans le cas d’une offrande ou le but était de montrer la supériorité de Dieu sur l’homme et l’animal qui eux sont mortelles. Abel soutenait donc la supériorité de l’homme sur l’animal, c’est pourquoi son idéologie était plus proche de la vérité et que son offrande a été accepté.

Tel est le sens de la phrase que Dieu dis à Cain

Genèse 4.7 : Certainement, si tu agis bien, tu relèveras ton visage

Le sens en est le suivant : l’homme est bien égal à l’animal à la naissance. Mais s’il agit bien, s’il pratique la bonté et réalise son potentiel, alors il s’élèvera au-dessus des animaux. Seulement, Cain est resté sur son idéologie égalitaire, et s’est dit que puisque Dieu accepte le sacrifice animal d’Abel, il est claire qu’il est autorisé de tuer les animaux, et par conséquent, il est licite de tuer Abel.

Cette opinion erronée est resté parmi les descendants de Cain jusqu’à la naissance de Seth, le texte mentionnant qu’il a été conçu à l’image d’Adam, qui lui-même était à l’image de Dieu. L’opinion de Seth était alors éloigné de l’idéologie politique d’Abel et des plaisirs de ce monde, et se concentrait sur le service divin. Comme l’idéologie de Seth n’était pas facile à percevoir, l’humanité a suivi l’idéologie de Cain, et par conséquent la terre fut remplit de violence.

Genèse 6.11 : la terre était pleine de violence.

Cette génération vivait alors comme des animaux, pensant que l’homme n’a pas de supériorité par rapport à l’animal et que la loi du plus fort doit régner. On en vient à la réponse principale du sujet, à savoir pourquoi l’alimentation animale a été autorisé lorsque Noé et sa famille sont sortis de l’arche ? La réponse est que Dieu a voulu supprimer l’idéologie de Cain. C’est la raison pour laquelle le sacrifice animal de Noé a été accepté. Mais pour éviter que la descendance de Noé suit l’opinion d’Abel en supposant que son sacrifice fut accepté comme celui d’Abel et retournant ainsi à son idéologie erronée, Dieu s’empressa d’autoriser la consommation des animaux. (Je reviendrai dans un autre article pour parler des sacrifices qui est un sujet en soi)

9.3 Tout ce qui se meut et qui a vie vous servira de nourriture: je vous donne tout cela comme l’herbe verte.

La fin du verset est révélatrice des explications ci-dessus "comme l’herbe verte" . C’est à dire que de même que Cain a pu admettre qu’il était supérieur aux plantes car elles ont été crée pour l’homme, de même l’autorisation de se nourrir des animaux inculquera l’idée d’une supériorité de l’homme sur l’animal. Mais Dieu met en garde directement l’homme concernant la souffrance animale et la barbarie comme l’explique le Rambam (Guide des égarés, III, 48). Ainsi, toute la descendance de Noé et donc les peuples du monde, ont l’interdiction de consommer un animal qui est encore en vie, loi qui est connu sous le nom de "ever min hachai".

Genèse 9.4 Seulement, vous ne mangerez point de chair avec son âme, avec son sang.

Ainsi, l’autorisation de consommer la nourriture animale est vue comme une concession de la Torah, qui s’est en quelque sorte plié à la nature humaine, même si ce n’est pas son idéal.

Le rav Kook, grand rabbin Ashkénaze du 20e siècle réaffirme cette idée et voyait dans la nourriture animale une autorisation temporaire le temps qu’une période plus brillante où l’humanité se sera élevé moralement soit atteinte.

C’est ici que se dessine petit à petit l’objectif de la Torah, à savoir l’éducation des hommes, mettre en place des lois pour leur inculquer des opinions et les faire évoluer pour qu’au fur et à mesure ils atteignent une morale idéale. Car en effet, lorsque la Torah a été donné à Israel et que cette opinion erronée fut supprimé de l’humanité, Dieu a restreint de nouveau la consommation animale en autorisant seulement une catégorie respectant les critères de cacherout. Le rav Albo écrit que même les animaux autorisés n’étaient qu’une concession à la convoitise et au désir humain. C’est pour cela que la Torah utilise l’expression « si tu désires manger de la viande, tu pourras en manger » (Deutéronome 12:20). Le rav Albo ira même jusqu’à comparer cela à la loi concernant la Yefat Toar, ou la bible a autorisée l’homme à suivre ses pulsions et a donnée des lois pour le dissuader de les assouvir. De même, le vin est autorisé, et pourtant il est interdit au Naziréen qui est sanctifié. Cela est signe qu’une chose qui est autorisée n’est pas forcément idéal aux yeux de la Torah.

Ainsi, à la lumière de cette lecture, le rav Soloveitchik, grand talmudiste américain du 20e siècle déclarait qu’il y a une claire réticence de la Torah à manger de la viande.

Pour conclure sur cet article, voici également les mots du rav Yitzhak HaLevi Herzog, ancien grand rabbin d’Israel, à propos du végétarisme : « l’aspect carnivore de l’homme n’est pas tenu pour acquis ou loué dans les enseignements fondamentaux du judaïsme. Les rabbins du Talmud ont précisé que les hommes étaient végétariens dans les temps les plus reculés, entre la Création et la génération de Noé. Une pléiade de dirigeants rabbiniques et de maîtres spirituels ont confirmé que le végétarisme est le sens ultime de l’enseignement moral juif. Ils ont proclamé la liberté de toutes les autres créatures vivantes – comme valeur que notre tradition religieuse doit apprendre à tous ses fidèles. The Animals’ Agenda, Volume 9, Animal Rights Network, 1989 p.32 »

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